L'Innovation Ouverte, pour une révolution des compétences ! - Sixun

L’Innovation Ouverte, pour une révolution des compétences !

Cet article à « vocation académique » fait le point sur une quinzaine d’années de débat et pratiques sur l’Innovation Ouverte.

Introduction

Dans l’édition du 15 juin 2015 du journal Les Echos, Henri de Castries, PDG du Groupe AXA et Président des Espoirs du Management, affirmait : « La clé du management, c’est la curiosité. ». Cette phrase aurait-elle pu être clamée dans une époque autre que celle d’innovation permanente et ouverte que nous traversons ?

Depuis sa labellisation en 2003, l’innovation ouverte (OI,  « Open Innovation ») suscite de nombreux débats, articles de recherche et de presse, conférences et intérêts des consultants, des entreprises, de tous secteurs, de toute taille (des start-ups aux entreprises mondiales) et des pouvoir publics.

Dans un premier temps, les caractéristiques de l’OI seront analysées, à travers ses définitions, ses champs d’application et des exemples.

Dans un second temps, seront exposés les débats passés et actuels à travers les bénéfices et les limites de l’OI, tels qu’étudiés par les chercheurs en sciences de gestion et les praticiens.

Dans une troisième partie, des recommandations seront faites pour le déploiement d’un processus d’OI au sein d’une organisation.

Enfin la conclusion identifiera les thèmes essentiels pour la réussite de l’OI à l’avenir, en envisageant son futur et les perspectives qu’elle pourrait ouvrir.

  1. Caractéristiques de l’innovation ouverte

A.1) Définitions

Depuis la fin du XXème siècle, l’innovation technologique et produits/services est souvent citée comme le vecteur de croissance, de prospérité et de pérennité le plus déterminant pour les entreprises (et les Etats) (Drucker 1988 ; Christensen, 1997), plaçant les stratégies de différenciation par la propriété intellectuelle, sur le devant de la scène aux dépens, par exemple, des stratégies de domination par les coûts et/ou par la taille, selon la distinction classique proposée par Michael Porter de la Harvard Business School dans les années 60.

Selon la distinction entre innovation et invention établie par Laursen & Salter (2006), l’innovation peut être définie comme le processus de recherche de nouvelles idées qui ont un potentiel commercial.

En 2003, Henry Chesbrough, Directeur du Centre for Open Innovation de la Haas School of Business de l’Université de Californie à Berkeley, propose le terme d’ « innovation ouverte » (OI – open innovation), en partant du besoin qu’ont les entreprises d’ouvrir leur processus d’innovation en combinant des technologies développées en interne à celles venant de l’extérieur de l’entreprise, afin de créer davantage de valeur, à l’opposé des entreprises du XXème siècle qui auraient largement investi en « R&D interne », en recrutant les meilleurs talents pour développer les meilleures idées et en les protégeant par les stratégies de propriété intellectuelle (IP), dans un processus dit « fermé ».

Cependant, la labellisation moderne du terme « « OI », présentée alors comme une découverte par les différents auteurs, masque difficilement une réalité plus contrastée qui permet d’identifier une histoire trentenaire de partenariats formels entre entreprises, voyant exploser les accords de R&D depuis les années 70. Certains voient même les grands projets architecturaux de l’histoire ancienne (cathédrales, demeures et châteaux royaux – cf. innovations radicale à Vaux-le-Vicomte) comme les premiers creusets de l’OI, faisant appel aux idées d’un réseau large d’artisans proposant innovations techniques et méthodes pour apporter des solutions nouvelles, parfois radicales. A l’origine plus récente de l’OI, on retrouve par exemple les pratiques d’open source dans le développement des logiciels (Gruber & Henkel, 2006), mais aussi celles liées aux transferts de technologie et à l’externalisation de la R&D auprès de sociétés d’ingénierie et de technologies (ESN, off-shoring,…).

 

Christensen (2005) et Berkhout (2006) inscrivent l’OI dans une perspective d’évolution économique et de dynamique industrielle, où notre société possède dorénavant quatre facteur-clés de production : le capital, le travail, la connaissance et la créativité, donnant naissance à l’ « économie de l’innovation ».

 

Chesbrough définit quelques années plus tard, en 2006, l’OI comme suit : « l’utilisation active de flux entrant et sortant de connaissances afin d’accélérer en interne l’innovation de l’entreprise, et respectivement d’étendre ses marchés par l’usage externe de l’innovation ». Chesbrough considère que les investissements de R&D internes ont perdu de leur valeur stratégique à cause d’un retournement radical dans la façon dont sont générées les nouvelles idées et leurs mises sur le marché. Dans le modèle précédent d’innovation « fermée », les entreprises ont besoin de contrôler le processus d’innovation. Au début du XXIème siècle, la mobilité des détenteurs de savoir internes (experts, chercheurs, ingénieurs,…) et les nouvelles formes de financement (venture capital) font se déplacer les frontières de l’innovation vers davantage d’externalité.

Chesbrough identifie certains facteurs qui ont fait évoluer le paradigme de l’innovation fermée : la connaissance est maintenant très largement distribuée ; les idées qui ne sont pas rapidement utilisées par l’entreprise sont perdues ; la valeur d’une idée dépend de son exploitation au sein d’un modèle économique (elle n’a pas de valeur propre) ; la présence renforcée des VCs (venture capitalists) a ouvert les entreprises aux idées externes ; la crise économique favorise la vente de propriété intellectuelle non-exploitée.

Chesbrough définit cinq facteurs sur lesquels l’OI doit être fondée : 1) accepter que tous les gens intelligents ne sont pas les salariés de l’entreprise ; 2) la R&D développée à l’extérieur peut avoir de la valeur pour l’entreprise ; 3) la R&D n’a pas besoin d’être faite en interne pour générer du profit ; 4) les idées internes et externes sont essentiels pour le succès ; 5) il faut acheter de la propriété intellectuelle à l’extérieur, quand c’est nécessaire.

Le concept a rapidement conquis les praticiens et les chercheurs, des conférences dédiées sont lancées et un courant de littérature en science de gestion s’empare du sujet, élargissant le positionnement originel de Chesbrough, qui était centré sur les technologies et le marché (achat/vente) de la propriété intellectuelle, voire industrielle.

Chesbrough propose ainsi un modèle d’OI où les entreprises commercialisent elles-mêmes et/ou font commercialiser des idées externes et/ou internes, selon deux axes : de l’extérieur vers l’intérieur et inversement (« outside-in/inbound »/« inside-out/outbound »). L’outbound s’ajoute aux modes de commercialisation classiques et correspond aux ventes de licences, de brevets ou à la filialisation d’activités innovantes (spin-offs/spin-outs).

En 2006, Chesbrough définit l’OI comme suit : « un paradigme qui prétend que les entreprises, afin de développer leur technologie, peuvent et doivent utiliser des idées provenant de l’extérieur tout autant que les idées venant de l’intérieur, de même que des voies internes et externes d’accès au marché. »

Selon Chesbrough (2004), en augmentant le nombre d’idées générées pour une entreprise, l’évaluation initiale des idées, au premier stade du processus de sélection, devient cruciale ; l’observation de ce qui se passe en interne après chaque phase de décision est importante ; la revue critique des échecs par des avis externes, le choix de vendre les licences pour les projets non mis sur le marché et le fait de créer des possibilités ayant un impact potentiel sur le modèle économique de demain, le sont tout autant.

En 2007, Chesbrough distingue la « création de valeur » de la « rétention de valeur » comme deux éléments fondamentalement différents du modèle économique de l’entreprise, alors que les coûts galopants des développements en technologies et le raccourcissement de la durée de vie des produits rendent souvent injustifiables les investissements en R&D interne. L’OI (outside-in) devient un moyen d’économiser du temps et de l’argent en R&D,  d’en faire gagner par la vente de propriété intellectuelle (inside-out), d’expérimenter de nouveaux modèles (marques alternatives, co-développement de produits), de rendre l’innovation plus efficace et d’ouvrir de nouveaux marchés, à condition que les objectifs soient clairs, les capacités en R&D soient connus et que les modèles d’affaires entre partenaires soient alignés.

De fait, les entreprises qui font de l’OI passent d’un modèle de « frontière étanche avec l’extérieur » à un modèle de « membrane semi-perméable » qui permet à l’innovation de se mouvoir plus facilement entre l’environnement externe et les processus internes de R&D.

Elmquist et coll. (2009) définissent un cadre d’OI à partir de deux dimensions : la localisation du processus d’innovation (plus ou moins à l’intérieur ou à l’extérieur de l’entreprise) et le nombre d’acteurs collaborant (de deux à la multitude), permettant de situer l’OI sur un continuum allant de la R&D interne fermée à la collaboration de masse.

En 2011, Duarte et Sarkar montrent la pléthore de termes caractérisant l’OI et proposent deux stratégies génériques : la « révélation libre » des technologies (ex : Linux, open source) et la « collaboration formelle » dans le cadre de processus structurés.

D’après Chesbrough, la gestion du capital intellectuel de l’entreprise dans le cadre de l’OI fait que celle-ci devient un acheteur et un vendeur actif de propriété intellectuelle, sachant que ce capital n’a de valeur que relative à son modèle économique.

A.2) Champs d’application

Etant donné le caractère assez peu précis et rigoureux de son périmètre, les champs d’application de l’OI se trouvent dans quatre domaines différents : ceux en relation avec les clients, ceux concernant l’écosystème de la R&D, ceux concernant les technologies, ceux concernant les types de relations partenariales.

En relation avec les clients, Von Hippel, dès 1986, pose les bases des communautés d’utilisateurs, les « lead users », bêta-testeurs, parfois au sein de réseaux dynamiques, experts, à l’avant-garde et ayant un fort intérêt personnel pour le sujet. Les communautés de lead users se sont parfois massifiées grâce aux outils internet, à travers le crowdsourcing, l’appel aux idées de la foule, pour fournir, dans une communauté d’innovation, des idées individuelles ou pour faire du co-développement, de la co-innovation de produits et services.

Brown et Hagel évoquent par exemple dès 2006 le phénomène émergent des « réseaux créatifs », où un très grand nombre de participants collabore pour créer de nouvelles connaissances, pour apprendre les uns des autres en capitalisant sur les contributions de chacun. Ces réseaux sont lancés par un organisateur de réseau qui définit les conditions d’accès au réseau, ses modes de fonctionnement et d’actions. Les réseaux créatifs présentent un intérêt dans les cas où la demande pour un produit est incertaine, et/ou la participation d’un très grand nombre de spécialistes est nécessaire, et/ou les évolutions rapides du marché ou de la technologie existent.

Les interactions de l’OI avec les clients concernent principalement les concours, boîtes à idées, les tournois (« jams »), en recherche d’innovations de rupture et/ou de réputation (ex : recrutement d’étudiants), d’où également leur fort impact de communication, leur confidentialité n’étant pas de rigueur.

Dans son acceptation du mot « client » au sens large, Aarikka et coll. (2014) identifient l’écosystème nécessaire à la commercialisation de l’innovation ouverte: distributeurs, fournisseurs, organismes de recherche et d’enseignement/étudiants, investisseurs, médias, pouvoirs publics, régulateurs, normalisateurs, utilisateurs, « complémenteurs », consultants et designers.

En relation avec la R&D, l’outsourcing technologique renforce la notion d’écosystème de l’OI autour des prestataires de services, des acteurs-tiers, des intermédiaires, des brokers de licences et brevets, des incubateurs, des fonds de venture capital, des veilleurs technologiques (« technology scouts »), des fab-labs, des espaces de co-working, des pôles de compétitivité et innovation hubs. Ce sont la résolution de problèmes que visent en premier lieu ces pratiques.

En relation avec les technologies web, on trouve les plateformes internet, les portails, les blogs, les mondes virtuels, les outils de sondages, de feedbacks, de tests d’idées et de concepts, les pratiques d’open source, de l’open data et les développements d’APIs. Ces outils donnent naissance à de nouveaux métiers, comme les Innovation Community Managers ou Open Data Managers.

Concernant le type de relation entre partenaires, Kale et Singh (2009) identifient les contrats classiques (achat-vente, franchise, licence simple ou croisée), les contrats non classiques (accord de co-développement, de co-production, de co-branding, accord d’accès mutuels à des actifs, consortium de R&D, open source/creative commons), les contrats moraux et sociaux (confiance interpersonnelle, communauté physique ou en ligne) et les dispositifs capitalistiques (prise de participation/venture capital, swaps, joint-ventures, filialisation, spin-offs, fusion/acquisition). A ces catégories s’ajoutent les relations classiques clients-fourrnisseurs et plus récemment, les relations de type concours multipartenaires, celles avec des incubateurs et des start-ups. La relation intraprenariale avec des entrepreneurs internes vient compléter la gamme des possibilités, celles-ci pouvant être complémentaires, non-exclusives.

A.3) Exemples

Les cas de très grandes entreprises connues (et plus rarement quelques PME) ont principalement été mis en exergue lors de la popularisation du terme « OI », surtout à travers la description de leurs processus, de leurs méthodes et outils. Les exemples sont fondés sur les savoir-faire essentiels à la réussite de l’OI, ceux consistant avant tout à coordonner et agréger en interne les connaissances et technologies venant de l’extérieur.

Dans le cadre du sourcing d’idées et de technologies externes, dans les secteurs de l’industrie, le cas de Procter and Gamble, à travers la refonte de ses processus d’innovation et son initiative « Connect and Develop » (C&D), a servi d’exemple-phare, notamment pour les processus d’OI permettant de mieux distribuer les innovations venant de l’extérieur au sein d’un réseau mondial, de trouver de nouvelles idées, de comprendre les besoins des clients et de trouver des solutions, techniques ou pas, à des problèmes identifiés. Dans le même registre, l’initiative « Identifier et accélérer » d’Air Products & Chemicals a également été commentée par Tao et Magnotta en 2006. L’initiative d’Eli Lilly, Drug Discovery Program, a été décrite dans le monde de la pharmacie. Les plateformes Innovate de Mondelez ou Beiersdorf Pearlfinder sont cités comme des exemples de réalisation d’OI réussie.

Dans le cadre de l’implication d’une communauté de clients, un exemple souvent cité est celui de Lego qui, à la suite d’une attaque de hacking, a transformé ses outils de conception propriétaires en un espace de co-création en ligne (Lego Mindstorm / Cuusoo) par la mobilisation de clients passionnés, ainsi que Dell avec sa plateforme Ideastorm. Quirky et Auchan sont un exemple de créations ouvertes venant d’une communauté en ligne et vendus en magasins physiques. Une PME comme Threadless s’est rendue célèbre pour la création de tee-shirts sur proposition de la communauté des visiteurs de son site.

Dans le cadre des technologies et APIs, IBM et son « IBM jam » réunissant jusqu’à 150 000 développeurs lors d’événements d’innovation en ligne font figure de réussite spectaculaire en termes de masse. En matière de nombre de développements de services et de création de business modèles, les exemples de l’IPhone et l’AppStore d’Apple et l’AndroidMarket de Google font référence.

Dans les initiatives de crowsourcing indépendant, Kickstarter et KissKissBankBank sont des exemples aboutis d’intermédiaires.

Dans le cadre des concours d’idées, la NASA avec yet2.com a pu faire face à une réduction drastique de son budget R&D en faisant développer des solutions en externe sur appels aux scientifiques. De même, les concours d’idées impliquant experts, salariés, étudiants ou entrepreneurs, tels que The Netflix Prize, GE Ecomagination Challenge, Merck Innovation Cup, Engie Innovation Challenge, Michelin Challenge Bibendum, sont emblématiques d’un engouement pour l’ouverture de l’innovation vers l’extérieur.

Enfin, les communautés de testeurs et de développeurs d’Orange, SFR et RATP font la popularité des hackathons et d’initiatives de R&D ouverte et partagée avec des communautés de clients et de développeurs.

  1. Débats passés et actuels

B.1) Bénéfices de l’OI

Dès 2006-2007, soit à peine trois années après sa labellisation, le concept d’OI a connu une véritable fascination, s’est élargi rapidement et est devenu un « paradigme qui réunit la recherche de différents domaines en sciences du management » (Elmquist, Fredberg, Ollila, 2009), bien au-delà de la définition originelle de Chesbrough. Le concept d’OI s’est répandu, douze ans après son lancement, dans de très nombreux secteurs de l’industrie, des technologies et des services, en tant que modèle de management, selon certains auteurs.

Depuis 2001, le nombre de citations annuelles du terme OI dans Google Scholar est passé de 0 à 3500, avec une croissance linéaire constante et une accélération depuis 2007 (Chesbrough & Bodgers, 2014).

L’OI s’inscrit, il est vrai, dans un ensemble de tendances concomitantes survenant depuis le début du XXIème siècle, dans un contexte de ralentissement économique global et de pénétration rapide des usages liés à Internet.

Le développement des outils web rend la communication quasi gratuite, à grande échelle : interroger le monde entier sur de nouvelles idées devient possible au début des années 2000 ; l’accessibilité à de nouveaux marchés et fournisseurs low cost rend obsolète les modèles de coûts de la R&D interne classique ; le recentrage sur le cœur de métier et la gestion serrée des budgets de dépenses raréfient les ressources internes pour la R&D et les études ; l’accélération du rythme de développement des technologies impose une accélération de l’innovation pour rester compétitif et de nouveaux standards de capacité d’absorption aux entreprises, standards qu’elles ne peuvent ou ne souhaitent pas suivre, faute de moyens financiers et de capacités humaines : en effet l’obsolescence rapide des technologies n’encouragent pas les entreprises à en faire l’acquisition, d’autant que les compétences expertes peuvent être rares, difficiles à recruter et à manager dans une entreprise centrée sur quelques fonctions jugées comme clés ; la recherche d’avantages compétitifs radicaux et durables obligent souvent à combiner différentes technologies, avec un degré d’incertitude fort sur le succès futur des innovations, alors que les entreprises n’ont qu’une maîtrise interne forte de certaines d’entre elles, constituant leur compétence historique, générant l’essentiel de leur rentabilité actuelle ; enfin la co-construction d’offres avec les clients réduit les risques d’échecs des lancements d’offres et de produits et peut en multiplier le nombre.

Selon Jacobides et Billinger (2006), la perméabilité des organisations internes avec l’extérieur permet une utilisation plus efficace des ressources, une meilleure adaptation entre les capacités de l’entreprise et les besoins du marché, une amélioration des capacités opérationnelles de l’entreprise, de leur potentiel d’innovation et de leur capacité stratégique.

Dittrich et Duyster, en 2007, démontrent, à travers l’exemple de Nokia, comment une entreprise peut évoluer de relations de partenariats à long terme vers des pratiques collaboratives plus informelles ou « faibles », à travers des accords exploratoires, qui rendent possibles des relations plus organiques et moins formelles, en réseau. Dans cet exemple, la culture de l’entreprise toute entière bénéficie de l’ouverture.

Simard et West (2006) distinguent les « liens profonds », des « liens larges » : les premiers permettent de capitaliser sur une technologie existante, quand les seconds favorisent l’identification de nouvelles technologies et de nouveaux marchés. L’OI peut faire coexister les deux catégories de relations, profondes ou larges, de manière formelle ou informelle, sachant que les liens profonds tendent à favoriser davantage les innovations incrémentales et les liens larges, les innovations de rupture.

En 2006, Dahlander et Wallin montrent comment l’utilisation des communautés, sans contrôle hiérarchique et sans que l’entreprise en soit propriétaire, peut constituer un actif bénéfique dans le cadre de l’OI.

En 2011, Inauen et Schenker-Vicki valident les effets positifs significatifs de l’ouverture vers les clients, les fournisseurs et les universités, sur la performance de l’entreprise.

En 2011, Ferrary indique que les entreprises qui ont séparé l’exploration de l’exploitation d’innovations sont celles qui réussissent le mieux ; elles sont devenues « ambidextres » dans leur capacité interne à gérer avec succès les innovations provenant de l’extérieur et celles générés par leur propres équipes.

Piller et Walcher affirment en 2006 que les concours d’idées révèlent chez les clients, des besoins cachés que les méthodes d’études de marché conventionnelles ne permettent pas de mettre à jour.

Gassman et Reepmeyer, en 2006, prétendent que la mise en œuvre de nouveaux systèmes doit nécessairement être l’occasion d’aligner les pratiques de leadership de l’entreprise, en termes de responsabilités, de rôles et de relations entre les collaborateurs. L’implication forte de la direction générale doit être un préalable selon Huston et Sakkab (2006, 2007).

A partir de 2005-7 où l’analyse critique de l’OI a dépassé la phase initiale d’explication du fonctionnement et de ses impacts, et jusqu’à aujourd’hui, le champ de recherche sur l’OI s’est considérablement développé, même s’il reste très largement débattu, du fait de son élargissement conceptuel et pratique, du nombre de connections qu’il doit nécessairement réaliser avec d’autres sous-domaines de la recherche en management, et enfin de son caractère contextuel qui rend la théorisation complexe et les meilleures pratiques difficiles à dupliquer. Selon les propos de Lichtenthaler en 2011, l’OI ne peut plus être considérée comme une mode et restera dans le paysage du management, même si elle est amenée à évoluer et/ou à se perfectionner.

B.2) Limites de l’OI

Cependant l’OI en tant que nouveau paradigme est réfuté par un nombre important d’auteurs. L’OI commence, dès 2005-7, à susciter un courant d’analyse critique.

Même si la recherche sur les échecs de l’OI est quasi inexistante, faute de cas étudiés, il est courant d’affirmer que le taux d’échecs des initiatives d’OI se situe dans une fourchette de 30 à 70%. Au-delà des chiffres, ce qu’il faut retenir est que l’OI présenterait un risque d’échecs très significatif. Pour avoir un sens, ce risque devrait être comparé aux taux d’échecs de l’innovation dite fermée et à d’autres programmes de changement.

Ayant réussi sa vocation pédagogique, vis-à-vis d’un public large, à travers les termes facilement compréhensibles « OI » vs. « OF », l’OI correspond en réalité plus à une échelle de mesure, dans laquelle les pôles opposés supposés convergeraient vers la destruction : une entreprise totalement fermée n’auraient pas d’innovation du tout, ses produits et services seraient vite obsolètes, ses clients la fuirait, elle fermerait ses portes ou serait reprise dans le cadre d’un redressement par un actionnaire plus innovant qui apporterait des ressources d’innovation ; une entreprise totalement ouverte n’aurait pas les moyens humains, financiers, techniques,…de sélectionner, suivre et mettre en œuvre ses projets d’innovation et mourrait de l’engorgement de ses processus, du désengagement progressif de ses équipes face à une « boulimie créative » et, de manière paradoxale, de son status quo, car la création et la captation de valeur n’y seraient jamais réalisées, le ROI des innovations suivrait vite la loi des rendements décroissants, les possibilités de réinvestissement y serait rapidement réduite à zéro et l’entreprise en serait paralysée.

De nombreuses conditions de réussite sont attribuées à l’OI, après 2003, alors qu’il s’agissait déjà d’éléments qui pouvaient être mis en exergue pour l’innovation dite fermée, bien avant les publications de Chesbrough (par ex : la collaboration des équipes inter-fonctionnelles internes).

Les conséquences des modèles théoriques extrêmes d’innovation fermée ou ouverte aboutiraient au même constat : l’adaptation du degré d’ouverture des processus d’innovation, dans les contextes stratégiques et opérationnels précis et identifiés, est le facteur-clé de succès le plus important, avec la capacité d’absorption de l’entreprise.

Selon Enkel (2005), l’ouverture forte aux contributions de clients sur le sujet de l’innovation présente des risques de perte de savoir-faire interne, de dépendance aux avis et personnalités des clients, de se limiter à des innovations incrémentales uniquement ou à des marchés de niche à faible potentiel.

Fetterhoof & Voelkel (2006) identifient les problèmes centrés sur la recherche d’innovation, car les entreprises ne sont pas souvent habituées à évaluer les innovations externes, à travers la recherche d’idées, leur évaluation, le recrutement de partenaires potentiels, la rétention de valeur par leur commercialisation et l’extension de leur offre en lien avec une entreprise externe.

Lichtenthaler et Ernst, en 2006, définissent trois choix stratégiques en matière de « transactions des connaissances »: l’acquisition (faire soi-même ou acheter), l’intégration (intégrer dans l’entreprise ou créer en partenariat), l’exploitation (garder ou vendre l’innovation). Les attitudes vis-à-vis de ces choix conservent une forte dose d’affectivité parmi les dirigeants et spécialistes, selon les auteurs. La décision de faire de la commercialisation d’innovations externes une activité stratégique pour l’entreprise doit résulter d’une décision centralisée et alignée avec les autres stratégies de commercialisation existantes. Pour réussir cet alignement, le renforcement des collaborations entre les fonctions de l’entreprise facilite la régulation des interfaces.

Knudsen et Mortensen (2011) prétendent que l’OI peut avoir des effets négatifs sur le développement de produits nouveaux.

Schroll et Mild en 2011, mettent en évidence la diffusion plus large de l’OI inbound que de celle outbound (vente de PI). Elle est davantage un complément de la R&D interne qu’un substitut.

En 2011, Jarvenpaa et Wernick évoquent la tension forte existant entre le management de l’OI et celui de la R&D interne et concluent que les managers doivent développer de nouvelles compétences.

L’OI met en évidence le besoin d’une culture et d’un leadership qui encourage les innovateurs, même si dans les premières années après l’introduction du terme « OI » et encore aujourd’hui, les travaux de recherche permettant de comprendre et d’analyser ce besoin restent très peu nombreux.

Flemin et Waguespack, en 2007, affirment que les leaders des communautés d’OI doivent d’abord apporter eux-mêmes une contribution technique forte afin d’être en mesure de pouvoir structurer et relier la communauté. Cette contribution étant évidente, la confiance de la communauté est facilitée, d’autant que les interactions physiques (réunions, rencontres, événements,…) entre membres démultiplient les relations sociales, aidant le décloisonnement.

La capacité d’absorption et d’apprentissage, « capacité d’une entreprise à reconnaître, à assimiler ou transformer, et à appliquer en interne des savoirs externes », est considérée comme un élément déterminant dans la réussite de l’OI, telle que définie par Cohen et Levinthal (1990) et constitue un frein potentiel sérieux à sa performance.

Selon le modèle de Zahra et George (2002), à sa capacité d’absorption, l’entreprise doit aussi rendre performante sa phase de réalisation qui consiste à transformer le savoir externe en le recombinant avec les savoirs internes, avant de les exploiter dans leur nouvelle configuration. Sans cette « recombinaison », à travers des mécanismes d’intégration sociale formels et informels, les équipes ne se réapproprient pas les savoirs externes et les chances de réussite des nouvelles idées provenant de l’OI s’amenuisent.

Birkinshaw, Bouquet et Barsoux, en 2011, évoquent la difficulté de suivre un nombre important d’innovations issus des ateliers de génération d’idées et des processus d’idéation.

Gassmann et Reepmeyer en 2005 soulèvent la question de l’équilibre entre la taille et la structure de la R&D interne par rapport aux ressources externes.

Motzek, en 2007, se pose la question des motivations pour une firme de s’engager dans un programme d’OI.

Witzeman & coll., en 2006, pensent que plus l’innovation vient de l’extérieur de l’entreprise, plus le besoin de changer les systèmes, les processus, les valeurs et la culture est fort ; plus l’entreprise travaille à développer sa propre technologie, moins elle est susceptible d’accepter l’innovation externe ; plus les salariés ont été formés à des méthodes de gestion internes structurantes (Six Sigma, TQM,…), moins ils peuvent faire preuve d’ouverture vis-à-vis de méthodes externes nouvelles, sauf selon Dogson & coll. (2006), à promouvoir d’autres compétences et des changements culturels, à bien réaliser que la technologie nouvelle ne remplacera ni les pratiques de management existantes, ni l’acceptation de l’incertitude inhérente à l’innovation.

Dès 2004, Bromley identifie le besoin de réaliser une étude globale des impacts de l’OI sur le commerce mondial.

La distinction entre OI et Open Service Innovation, débat lancé par Chesbrough en 2011, ne semble pas rencontrer d’écho théorique et pratique au sein de la communauté de chercheurs et des entreprises.

La théorisation du concept reste encore évolutive, voire difficilement accessible, car elle est fondée surtout sur des cas concrets pratiques célèbres (P&G, IBM, Air Products & Chemicals, Innocentive,…), les outils associés, avec des explications qualitatives relativement maigres, un regard critique insuffisant, ne portant pas par exemple sur les échecs de l’OI, et une absence de données quantitatives, longitudinales, rigoureuses et comparatives à ce jour.

L’OI est surtout vue dans sa dimension inbound dans les études de cas et par les entreprises ; elle est perçue comme vecteur d’innovation de rupture, de création de nouveaux modèles d’affaires et d’avantage concurrentiel en procurant des bénéfices financiers tangibles en termes de réduction des coûts et de maîtrise des risques, sauf concernant la perte potentielle de propriété intellectuelle.

Le besoin de définir et différencier les concepts sous-tendant l’OI reste très fort de nos jours car l’extension de son champs de recherche en ont fait un « mot-valise » allant de la désignation d’outils ou de moyens techniques particuliers (ex : crowdsourcing, concours d’idées,…)  jusqu’à en faire un terme comprenant de nombreuses pratiques modernes du management.

Un enjeu fort pour l’entreprise est de trouver les bonnes personnes (en interne et en externe), de les faire sortir de leur zone de confort, et d’élargir son cercle de partenaires potentiels, par exemple au sein d’ « innovation hubs », pôles de compétences externes, de communautés online pour trouver des solutions via le crowdsourcing qui part du principe que l’intelligence collective d’un groupe large de personnes est supérieure à celle d’un groupe restreint, en nombre et en qualité d’idées et de connaissances (Surowiecki, 2005).

L’organisation idoine pour gérer l’OI est un sujet à part entière dans la mesure où les entreprises sont rarement organisées pour gérer la collaboration avec de nombreux acteurs et où il devient difficile de définir les limites de l’entreprise et le type de coordination avec les acteurs externes, sans que l’entreprise en soit affectée dans son identité, sa mission actuelle et sa position concurrentielle.

Les coûts incrémentaux de l’OI posent question, tant en termes de ressources existantes à réaffecter ou supplémentaires à allouer, que d’équations économiques mesurant le retour sur investissement marginal et comparatif, fondés sur des données quantitatives empiriques suffisantes, par rapport à des solutions d’innovations fermées. De plus, ces études devraient être mises en œuvre en relation avec des conditions données (type d’innovation, cycle/période de la vie de l’entreprise, durée de l’ouverture (permanente ou temporaire), cycle de vie du produit ou de la technologie,…), ce qui en limite la faisabilité.

La recherche sur le syndrome « pas-inventé-ici » (« Not-Invented-Here ») doit être faite tant il est présent dans les freins au succès de l’ouverture externe, d’autant que la culture de la plupart des entreprises valorise le « fièrement inventé chez nous », base de la reconnaissance et de la motivation intrinsèque et extrinsèque des équipes internes (R&D, marketing,…). Le mécanisme de passage vers la culture  « fièrement inventé ailleurs » (slogan de P&G) est à étudier dans ses dimensions humaines et organisationnelles (formation, compétences, systèmes de management, éléments de langage, communication interne et externe,…). A ce jour, peu de solutions sont présentées pour s’assurer que ce changement se produise en interne.

L’analyse de l’OI porte assez souvent sur l’impact des technologies IT en tant qu’élément permettant de nouvelles innovations ; une étude comparative entre la Silicon Valley et Israël, cependant étroite et peu généralisable, a été réalisée en 2011, par Engel et Del Palacio sur les Global Clusters of Innovation, pour décrire les interactions de proximité physique au sein des clusters.

Le management de la propriété intellectuelle historiquement centré sur la protection des intérêts du producteur de l’innovation doit désormais inclure (et non exclure) les dimensions « clients, utilisateurs et communautés » dans ses pratiques.

Les règles de management pourraient se trouver bousculées par l’OI au niveau du type de leadership nécessaire privilégiant la facilitation, l’organisation des relations inter-entreprises et inter-fonctionnelles, sans relation hiérarchique, de manière transverse, avec un niveau de motivation dont il faudra analyser les conditions de succès. De même, les défis managériaux, la gestion d’une complexité croissante, les changements cognitifs nécessaires au nouveau paradigme OI (Buijs, 2007) et l’adaptation des organisations à ces mouvements (Fetterhof et Voelkel, 2006) devront susciter des thèmes de recherche, tant la dimension humaine et organisationnelle y est critique. A ce titre les initiatives à dominantes exclusivement technologiques semblent avoir une efficacité moindre, les rencontres sociales, de personne à personne, ayant un impact sur la confiance réciproque et sur la qualité et la profondeur des informations. De même, il est important de comprendre les préférences des partenaires en termes de formalisme et d’in-formalisme de la collaboration, ceci pouvant aboutir à un mix de type « in-formalisme structuré ». En tout cas, au-delà des compétences nécessaires, la dimension humaine de l’OI étant fondée sur la relation entre partenaires, la « chimie » du lien social doit être alignée entre eux pour pouvoir fonctionner efficacement, ce qui est un élément déterminant à prendre en compte, surtout avec des cultures de secteurs ou d’entreprises très différentes.

L’attitude individuelle, la motivation intrinsèque des acteurs (internes et externes), l’orientation vers le résultat, le désir et la passion pour la réussite des projets, la curiosité, la volonté de poser des questions inexplorées par l’entreprise et d’absorber en interne les solutions, le sens de la responsabilité partagée envers l’innovation, sont identifiées comme les leviers indispensables au succès des initiatives d’OI.

La recherche de données quantitatives ne se limitant pas au nombre de brevets déposés dans le cadre de l’OI, est un besoin identifié par la communauté des chercheurs, par exemple sur la fréquence des innovations, les dépenses associées, la résistance aux évolutions stratégiques et la courbe de vie des initiatives d’OI sur une durée suffisamment longue.

  1. Recommandations

Une démarche d’OI peut se faire selon deux grandes stratégies initiales, sachant que, dans la durée, l’une peut, petit-à-petit ou brusquement, venir supplanter l’autre, en fonction des premiers succès, opportunités, menaces ou échecs. Ces deux stratégies sont : la stratégie des petits pas, la stratégie du grand bond.

La stratégie des petits pas est fondée sur les principes: « Try many, Fail fast » et « Try fast, Fail fast », limitant les risques et le coût de l’incertitude. Elle correspond à un tâtonnement conscient, avec une éventuelle évolution par à-coups, une extension progressive du réseau de partenaires, une « exploration libre, plus qu’un voyage organisé ». La vitesse de mise en œuvre peut être définie à l’avance dans le cadre d’un roadmap ou bien au gré des circonstances et des rencontres. Cette politique convient mieux aux PME et très petites entreprises, souvent faute de moyens techniques et humains, et de savoir-faire managérial.

Elle peut limiter l’OI à des innovations incrémentales, mais aussi favoriser la sérendipité. Son application minimaliste est celle de la désignation d’un champion interne de l’innovation qui occupera ce rôle sur son temps de travail. Dans les TPE, ce rôle est souvent dévolu au dirigeant

La stratégie du grand bond comporte des risques proportionnels aux gains qui devraient en être attendus. Elle doit être menée quand les perspectives de ROI et le business modèle de l’OI sont clairement établis, à travers des KPIs et un minimum d’études d’impacts financiers.

Cette stratégie, même si elle ouvre la R&D davantage à l’extérieur, ne doit pas consister à la supplanter, au risque de voir sa capacité de formulation de problèmes, de sélection d’idées et de gestion rigoureuse des projets d’OI mise à mal : les processus consistant à identifier, assimiler et transformer les technologies et idées externes doivent devenir encore plus rigoureux, car le volume sera fortement augmenté, les risques d’image et de propriété intellectuelle encore plus grands.

Dans ce cadre, une démarche structurée est préférable au tâtonnement. L’entreprise doit : établir son état d’ouverture passé et actuel (qualitatif et quantitatif), définir le modèle économique de l’entreprise et de l’OI, identifier ses savoir-clés et les technologies à garder secrètes (ou à partager avec d’autres), adapter les processus de gestion de l’innovation à une démarche plus ouverte, identifier la bonne organisation (cellule centrale ou locale ; les deux) et les équipes impliquées, définir d’où vient l’impulsion du changement voulu (top-down ou bottom-up), décider dans quelle mesure, quand et comment l’ouverture doit se produire, connaître les réseaux internes, former les équipes à l’innovation/à l’OI, aux soft skills et aux nouveaux processus, arbitrer entre ce qu’elle doit donner et identifier ce qu’elle peut recevoir, gérer la confidentialité, définir les moyens adaptés à la veille technologique, inclure le savoir-faire de montage de projets collaboratifs, décider d’établir un contrat formel ou moral, pouvoir traiter la multitude d’idées, trouver leur pertinence technique et commerciale, mettre en place dispositifs virtuels et/ou physiques, utiliser les leads users pour leur passion, leur hobby en maintenant leur intérêt pour le sujet, gérer le portefeuille de collaborations en nombre et intensité.

Pour dynamiser l’innovation et faire évoluer la culture pour favoriser l’ouverture, la dimension ludique (gamification) du projet OI pourra jouer un rôle de facilitateur du changement d’état d’esprit à opérer pour toutes les équipes de l’entreprise. La reconnaissance de la valeur du savoir externe doit être instituée par le porteur du projet d’OI, de préférence la direction, car c’est la première barrière à franchir, celle du syndrome NIH.

La politique RH jouera un rôle déterminant par l’intégration des fonctions et l’alignement des langages des différents départements, par le recrutement et l’évolution professionnelle des innovateurs, par la promotion d’une culture de la collaboration interne et externe,

Selon Alter (2000, 2009), savoir gérer les innovateurs  qui prennent des risquent, sont indépendants, parfois à la frontière de la déviance et de plusieurs mondes sociaux, à travers des réseaux basés sur l’échange et le don, est un facteur-clé de succès que maîtrisent peu de dirigeants. Au contraire, l’absence de reconnaissance de la contribution des innovateurs entraîne le conformisme de la culture, une démobilisation et un utilitarisme marqué, limitant fortement la capacité intraprenariale et donc l’innovation en général et a fortiori l’OI qui nécessite une prise de risque et un degré d’incertitude encore plus forts, notamment pour les innovations de rupture. Motiver les innovateurs et reconnaître leur contribution est fondamental pour entretenir la passion pour l’innovation.

Pour favoriser la compréhension des différents métiers entre eux, l’entreprise veillera à créer et maintenir des connexions sociales fortes avec des groupes de pairs, des réseaux sociaux et des changements réguliers de fonctions (CAHRS Cornell University, 2012).

La politique managériale visera à répartir les nouvelles fonctions et les rôles, à tous les niveaux de l’entreprise (achats, logistique, marketing, R&D, vente, production, juridique,…), dans le sens d’une implication de tous pour l’OI.

Des rapports hiérarchiques relativement limités créeront les conditions d’un dialogue (interne/externe) indispensable, d’échanges fréquents, d’une gestion positive et proactive des relations personnelles, d’une résolution des conflits en amont, d’un climat de confiance, d’un sentiment de création de valeur partagée et de conformité par rapport aux attentes.

Une culture hybride, favorisant la diversité et la reconnaissance sera un terreau favorable à l’OI, pour créer des passerelles avec les partenaires et rendre les cultures compatibles.

La gestion des savoirs et des interactions portera une attention particulière aux entreprises avec une culture trop proche, car la zone de confort créée pourra diminuer la valeur de l’initiative d’OI à court ou à moyen terme.

L’entreprise pourra limiter les risques et les coûts en expérimentant par un pilote, un champion de l’innovation, qui sait où trouver et à qui le transmettre. Cependant une certaine centralisation implique davantage de résistance au changement, une perte d’agilité et de souplesse, une structure décentralisée étant plus adaptable.

Les risques peuvent aussi être maîtrisés en limitant les démarches d’OI aux savoirs de ses employés et/ou de son écosystème actuel, par exemple pour trouver des savoirs complexes en interne et des savoirs non connus en externe.

La conscience des risques et des coûts réels de l’OI au lancement de l’initiative est un élément de pérennité du dispositif, notamment les coûts de recherche de partenaires, de négociation, de coordination, les risques de la relation, même si l’OI permet a priori un meilleur partage des coûts et des risques de la R&D que la R&D interne.

La stabilité de la stratégie de l’entreprise, son savoir en matière de commercialisation réduisent l’incertitude, mais dans quelle mesure l’initiative d’OI tolèrera-t-elle l’absence de business plan formel dans le cadre d’innovations de rupture sur des marchés nouveaux (Christensen, 1997).

Enfin le risque de réputation étant élevé, l’entreprise doit aussi apprendre « à mieux et souvent savoir dire non » malgré les sollicitations nombreuses que ne manquera pas de susciter la communication (au minimum interne) de son initiative d’OI.

Conclusion

Depuis sa labellisation en 2003, la connaissance formelle de l’OI en 2015 est encore relativement pauvre, malgré l’abondante littérature associée. Cela s’explique par les variations très larges sur sa compréhension et sur sa terminologie foisonnante, par sa dépendance au contexte et par l’absence de processus- ou d’organisation-type permettant d’obtenir une meilleure efficacité.

Il y a fort à parier que sa dépendance forte au contexte, élément dont la persistance semble garantie, ne permettra pas de réduire l’OI à un corpus d’éléments de réponse organisationnels, fondés sur des travaux de recherche quantifiés, généralisables et modélisables.

L’OI devrait rester « situationnelle » car ce sont finalement le contexte humain, la culture de l’entreprise, l’état d’esprit des porteurs de projets d’OI, l’attention portée par la direction générale et les pratiques de management qui semblent avoir le plus d’influence sur la réussite ou l’échec des projets et leur adaptation adhoc.

En ce sens, l’OI, à l’origine fondée autour du management de l’innovation, de la R&D et donc des technologies, des produits, des services et des business modèles qui alimentent les principaux flux de l’entreprise, pourrait à l’avenir, « passer au paradigme supérieur » tel que défini par Gary Hamel (2007), à savoir l’ « innovation dans le management (ou managériale) », paradigme restant à explorer au-delà des cas spécifiques et des exemples étudiés, et qui consistera sûrement à « déboulonner les vénérables principes du management » établis par « des chercheurs nés au XIXème siècle…pour des usines de production de masse du début du XXème siècle » et qui hantent encore trop souvent les couloirs des centres de décision des petites et grandes entreprises.

Et si l’OI était alors devenu l’étendard du besoin de renouveau radical du management, par rapport à des clients et des collaborateurs qui ont beaucoup changé, et évoluent dans un univers hyper-connecté, hyperinformé, hyper-éduqué, hyper-globalisé, hyper-sensible, hypercritique, hyper-mobile, hyper-technologique, hyper-inventif, hyper-créatif…celui de l’ « hyper-management », où l’augmentation exponentielle des connaissances accélère toujours plus vite tous les cycles (de vie des technologies, des produits, des savoirs,  des données…) et réduit à néant les paradigmes antérieurs.

De telle façon que la compétence-clé des individus et des organisations soit de plus en plus, à l’avenir, la capacité à se connecter (voir théorie pédagogique « connectiviste » – Siemens et Downes 2005), à savoir « qui sait quoi à quel moment précis », « qui va acheter quoi quand », et à trouver, réfléchir et travailler en réseau institutionnel ou adhoc (en interne, en externe, formel, informel, temporaire, durable,…), passant du « quoi-matériel » d’hier au « qui-social » de demain, vers un « hyper-management diktyocratique » (du grec, diktyo = réseau), au sein d’une société mondiale fluide, mobile et perméable.

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